Laurence Jalbert: quand l'authenticité rencontre la musicalité

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Laurence, vous êtes maman deux fois, et mamie quatre fois. Est-ce exact de dire que votre famille est le centre de votre univers?

Ah oui, tout à fait! À partir du moment où j’ai eu ma fille, j’ai su que j’avais trouvé le fameux sens à ma vie. Avant de tomber enceinte, j’avais peur des enfants. C’est à cause du manque d’estime de soi. J’avais tellement peur du regard des enfants que je changeais de trottoir pour ne pas avoir à en croiser!

J’ai accouché de ma fille toute seule à 24 ans, et c’est à ce moment-là que j’ai trouvé ma véritable raison de vivre. J’étais sans le sou, toute seule à Montréal, et pourtant, avec ma fille dans les bras, je possédais le monde!

À 37 ans, je suis tombée enceinte de mon fils, j’ai eu une grossesse extrêmement difficile, et j’ai accouché prématurément à 26 semaines, mais j’avais la vie! Je le voulais tellement ce bébé-là! Et j’ai deux beaux enfants, qui me donnent tellement, qui me rendent tellement l’amour que je leur ai donné!

J’ai toujours beaucoup travaillé: je pouvais donner jusqu’à 250 spectacles dans une année, partout en province. Forcément, ma fille s’est souvent fait garder. Cela dit, tous mes choix personnels ont été faits en fonction des besoins de mes enfants. À un moment donné, l’Europe m’ouvrait les bras, mais ma fille m’a dit: «Maman, ze veux pas. Ze veux pas, Maman». Ma fille me disait clairement qu’elle avait besoin de ma présence. Alors je ne suis pas allée en Europe, et je ne l’ai jamais regretté. Je ne suis pas carriériste, je suis passionnée! Et je suis passionnée de mes enfants, et de mes petits-enfants! Ma fille m’a donné mes quatre «ti-pouttes d’amour» qui me remplissent de bonheur…

Après votre famille, la musique est le second pilier de vie, n’est-ce pas?

Oui! La musique et la création. Prendre de l’abstrait et en faire du concret, mais dans la musique. Je l’ai récemment fait dans l’écriture, et ça a été une découverte pour moi. J’ai la passion de la musique depuis ma naissance, je crois. J’étais d’une timidité absolument maladive quand j’étais jeune…et pourtant, à 17 ans, j’ai répondu à une petite annonce d’un groupe de «pouilleux» que je ne connaissais pas qui se cherchait un claviériste pour aller jouer dans la «grand-ville»… et je suis partie avec eux! Sur place, j’ai trouvé le moyen de m’inscrire à des cours de musique que je suivais la semaine, et je jouais avec eux les fins de semaine. À un certain moment, j’ai dû abandonner les cours pour les suivre en tournée.

Je n’ai jamais fait de musique pour être une vedette. Je ne suis pas une vedette, je suis une artiste! La seule différence, c’est que je suis maintenant une artiste que l’on reconnaît sur la rue. Je n’ai jamais cherché ça. Lorsque j’ai lancé mon premier album, j’ai même demandé au producteur s’il y avait moyen d’en faire la promotion sans que j’aie à passer à la télé! Mais il m’a fait comprendre que mes chansons étaient trop personnelles, trop chargées de sens pour être anonymes, et que les gens voudraient connaître leur interprète.

Portez-vous des bouchons de protection lors de vos spectacles?

Maintenant oui, mais ça n’a pas toujours été le cas. D’ailleurs, avant de passer mon premier test auditif il y a de ça quelques années, j’étais persuadée que j’avais un problème d’audition, après toutes ces années à jouer dans les bars ou sur des scènes à la sonorisation excessive, avec la batterie, les cymbales, les notes aigües qui t’arrachent les tympans... Mais à mon grand soulagement, mon audiologiste m’a annoncé d’un ton incrédule que j’avais l’audition d’une jeune fille de 22 ans! Il m’a aussi dit que l’acouphène que je percevais était fort probablement relié au stress. Et il avait raison. J’ai éliminé la cause de ce stress, et mon acouphène a disparu.

Vous faites des prestations lors de plusieurs événements de bienfaisance, notamment le Grand concert des prématurés du CHU Sainte-Justine et le spectacle-bénéfice pour les Centres jeunesse de la Gaspésie. C’est important pour vous de redonner à la communauté? Oui! Il y a aussi les téléthons et La Ressource, un organisme d’aide pour les personnes handicapées de l’Abitibi. C’est absolument essentiel. Je reçois tellement! Pour moi, il est inconcevable de dire aux gens «Achetez mes disques, achetez mon livre, venez me voir en spectacle!» sans rien faire en retour. C’est ma façon de contribuer à la société et de rendre la pareille aux gens qui sont si généreux envers moi.

Vous avez lancé au printemps 2015 un essai biographique, À la vie à la mer, dans lequel vous relatez les événements de vie qui vous ont poussée à écrire les douze chansons qui figurent sur l’album numérique du même nom. Au moment où l’on se parle, le livre est un grand succès de librairie, avec plus de 11 000 copies vendues. Vous attendiez-vous à un tel accueil de la part du public?

Non, pas du tout! Vous savez, même après toutes ses années, je ne tiens jamais rien pour acquis. C’est toujours à recommencer. C’est une leçon que j’ai apprise très tôt. Je dois reconquérir mon public à chaque fois, et je n’ai jamais de certitude que ça fonctionnera. Ça me sert à me dépasser, parce que je n’en reviens juste pas de l’accueil que les gens me font. Je me dis: «Ah, les gens sont au rendez-vous encore cette fois-ci». Ils ont réservé à mon livre un accueil extraordinaire, et je trouve ça extrêmement touchant!

La trame de fond de votre conférence-spectacle est la résilience, cette capacité à se relever après les coups durs. Qu’est-ce qui vous motive à aborder ce sujet avec les gens?

Je veux dire aux gens qu’ils doivent regarder et aller vers l’avant. Tout est dans la lumière. Ce que je souhaite que les gens retiennent de ma conférence, c’est: «Regardez-moi. Je suis debout devant vous, souriante autant au-dedans comme au-dehors, "drette" comme une barre, malgré ce que la vie m’a obligée à recevoir.» C’est ma vie, tout simplement. C’est ma route.

Donc, ce n’est pas tant une conférence qu’un témoignage pour donner de l’espoir aux gens, pour leur dire que malgré les épreuves, il y a moyen de se relever. Peut-être pas de rester debout tout le temps, parce qu’il arrive qu’on tombe…

Oui, en effet. J’ai moi-même fait une très grave dépression il y a cinq ans. Il y a des outils, des gens qui peuvent nous aider. Il faut aller vers ces ressources-là.

En fait, c’est tout à fait humain et normal de tomber, de craquer. Il s’agit de trouver la force de se relever et de continuer à avancer, n’êtes-vous pas d’accord?

Exactement! C’est parfaitement normal de tomber. Il y a des choses que l’on peut contrôler, et d’autres que non. Pour les grands contrôlants comme moi, il faut de grands coups pour comprendre. C’est proportionnel à notre personnalité. Parce que les petits signaux, on ne les écoute pas. Je suis plus vigilante maintenant, mais je ne suis pas à l’abri. Il faut rester en équilibre le plus possible. Être heureux le plus longtemps et le plus souvent possible.

En entrevue avec la journaliste Marie-Christine Blais en mars 2015, vous avez dit: «Je suis une chanteuse qui prend les choses à cœur parce que mes chansons entrent dans le cœur des gens.» Comment expliquez-vous la connexion si forte que vous entretenez avec votre public?

À dire vrai, je ne me l’explique pas! (Rires.) En fait, déjà quand j’étais une toute petite fille, mes amies venaient vers moi pour me raconter des choses. Toute ma vie, les gens sont venus vers moi pour se confier. Les gens me font confiance, j’ai une «face» à la confiance, c’est comme ça! (Rires.)

J’écoute les gens, je mets ça dans ma petite «banque émotive» qui me sert à écrire mes chansons. D’ailleurs, la plupart d’entre elles ne racontent pas mon histoire, mais celles d’autres personnes. C’est le cas de Au nom de la raison, notamment.

Cela dit, à force de les interpréter et de prêter ma voix et mes émotions à ces chansons, j’en suis venue à les vivre par procuration. Je crois que la parole est une baguette magique, que tout ce qu’on dit à voix haute, on le reçoit. J’ai en quelque sorte obligé la vie à m’écouter. Il m’est arrivé des choses parce que je les ai trop chantées! J’ai dû arrêter de chanter certaines chansons parce que j’avais la certitude que si je continuais à les chanter, l’histoire qu’elles racontent allait se produire.