Chantal Lacroix: une battante au coeur tendre

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CHANTAL-LACROIX

Chantale, à l’âge de huit ans, vous êtes devenue complètement sourde de l’oreille droite. Que s’est-il passé?

J’ai eu des otites sévères, mon tympan a fini par se perforer des suites de complications, et mon nerf auditif a aussi été atteint. Depuis ce temps, je n’entends absolument rien de cette oreille.

Vous ne portez pas d’appareil auditif. Pourquoi?

Parce que j’entends quand même très bien de l’oreille gauche, et parce que la dernière fois que j’ai consulté il y a cinq ans (c’est vraiment le temps que je prenne rendez-vous avec l’audiologiste d’ailleurs!), les technologies qu’on m’a proposées ne me convenaient pas.

Dans vos émissions de télé, notamment Partis pour l’été à TQS à l’époque, et maintenant On efface et on recommence à Canal Vie, on vous voit interagir dans des environnements extérieurs inhabituels (en haut d’une tour de bungee ou en ski nautique, par exemple!) ou sur des chantiers de construction très bruyants. Quelles stratégies adoptez-vous pour ne pas perdre le fil et bien suivre ce que vous disent vos invités?

Premièrement, j’ai la chance d’animer et de produire mes émissions, ce qui me donne une certaine latitude quant aux conditions de tournage.

Aussi, mon entourage immédiat et mon équipe de production sont bien au fait de ma surdité, et ils m’aident beaucoup. Ils me tapent doucement sur l’épaule pour attirer mon attention, ils me parlent bien en face. S’ils voient que je n’ai pas entendu quelqu’un m’interpeler, ils vont vers la personne pour lui dire que je ne les ignore pas, que je ne les ai simplement pas entendus, après quoi ils s’organisent pour que le contact se fasse entre moi et la personne.

Je me colle aussi beaucoup à mes invités. Sur chaque chantier, il y a un contremaître, et je m’assure d’en faire rapidement mon allié! Vous aurez aussi remarqué que dans toutes mes émissions, mes invités sont toujours placés à ma gauche, de sorte que leur voix atteigne ma bonne oreille. Autrement, je ne les entendrais pas du tout!

Ces stratégies ont quand même leurs limites, notamment en environnement très bruyant et sur les chantiers de construction : pendant le tournage de On efface et on recommence, il m’arrive de demander aux ouvriers de prendre une petite pause le temps d’enregistrer un segment d’émission!

Après avoir perdu l’ouïe à votre oreille droite, vous avez commencé à chuinter et à zézayer en parlant. Pour cette raison, l’orienteur de votre école secondaire vous a dit, lorsque vous aviez 14 ans, d’oublier votre rêve de faire de la télévision, que ça serait impossible. Si vous pouviez retourner dans le temps, à ce moment exact, que lui répondriez-vous?

Qu’un adulte en position d’autorité, et un professionnel œuvrant auprès des jeunes de surcroît, doit être conscient du poids de ses mots. À mon avis, ces gens-là ont le devoir et la responsabilité de se montrer positifs et d’encourager les jeunes à faire tomber les barrières et à surmonter les difficultés qui peuvent se dresser entre eux et leur rêve. Leur rôle n’est surtout pas de leur montrer des limites qu’ils ne doivent pas espérer dépasser. Heureusement, mes parents ont vivement rejeté son avis.

Parlant de vos parents, ils vous ont poussé à suivre des cours de diction pour corriger votre problème d’élocution, n’est-ce pas?

Oui, et des cours de prononciation aussi. Ça a grandement amélioré la situation, même s’il me reste un petit quelque chose. Encore aujourd’hui, j’ai un peu de mal à prononcer certains mots.

Auriez-vous par hasard suivi des cours de lecture labiale aussi? Est-ce que cela vous sert au quotidien?

Non, je n’ai pas suivi de cours, j’ai tout naturellement développé cette habileté très tôt dans ma vie. La lecture labiale fait partie intégrante de ma vie, même si en vieillissant, je dois maintenant mettre mes lunettes pour arriver à lire sur les lèvres! (Rires.) Toutes les personnes malentendantes devraient suivre des cours, c’est vraiment génial! En plus, on devient comme un petit oiseau. Je peux comprendre ce que les gens disent lorsqu’ils se pensent hors de portée de voix. Ça peut être très révélateur et instructif! Cela dit, j’essaie de ne pas abuser de ce «talent» et de rester en dehors de ce qui ne me regarde pas!

Par contre, la lecture labiale a ses limites: ce n’est d’aucune aide pour écouter les films doublés en français...Essayer de faire le lien entre ce que j’entends (les mots en français) et ce que je vois (la prononciation en anglais), c’est vraiment l’enfer! Il me faut les versions originales.

Le moins que l’on puisse dire, c’est que votre surdité partielle ne vous a pas arrêtée, ni même ralentie! Est-ce qu’on peut aller jusqu’à dire que vous en avez fait une force motrice?

Quand je suis arrivée dans le milieu télévisuel, un producteur m’a dit que je ne serais jamais animatrice, parce que je n’avais pas ce qu’il fallait et qu’on me préférerait toujours une candidate qui entendrait des deux oreilles. Alors c’est clair que ma surdité m’a forcée à défoncer des portes. Heureusement – et ça je l’ai compris sur le tard – j’ai découvert que j’avais cette force, cette drive en moi. Avec les années, je me suis rendu compte que je carbure aux défis. Je donne vraiment le meilleur de moi-même lorsque je me mets délibérément en danger et que je suis sous pression. Ça a commencé avec l’émission Sport Soleil, mais c’est pendant les années de Partis pour l’été que j’ai pris pleinement conscience de ce trait de personnalité.

Je pense notamment à une des émissions de Partis pour l’été. À l’époque, nous avions enregistré une émission où je devais faire du trapèze avec mon invité, moi qui ai le vertige! Pardonnez l’expression, mais j’avais la « chienne » de ma vie, et j’ai échoué à mes trois premières tentatives. Le réalisateur m’a alors dit: «Bon, ben là Chantale, c’est la quatrième et dernière prise, peu importe le résultat, on va faire avec.». À ce moment-là, avec le «kodak» dans la face et toute l’équipe qui assistait à la scène, je me suis dit: «Oh non, c’est pas vrai que le Québec en entier va me voir rater mon coup». La pression était à son maximum… et j’ai réussi!

Je me mets donc constamment au défi. Est-ce que j’aurais fait la plupart des choses que je me suis obligée à faire si je n’avais pas eu la pression de la télé et celle de donner un bon show? Certainement pas!

Vous cumulez les projets d’envergure, et faites de nouvelles rencontres chaque jour. Qu’auriez-vous envie de dire aux gens ayant une perte auditive et qui sont portés à s’isoler et à fuir les interactions sociales par peur de passer pour «celui qui ne comprend jamais rien»?

Il n’y a rien de mieux que de parler de notre problème auditif. Il est de notre responsabilité de faire les premiers pas. Ce qui complique un peu les choses, c’est que la surdité est un handicap invisible. Si nous ne mettons pas les gens au courant de notre perte auditive, ils n’ont aucun moyen de savoir.

Je sais qu’on vit dans une société où la violence est de plus en plus présente, mais ce que j’ai appris en animant et en produisant des émissions comme Donnez au suivant et On efface et on recommence, c’est qu’il ne faut surtout pas sous-estimer la bonté et la compassion des gens. Il ne faut pas penser pour les autres et leur prêter de mauvaises intentions. Une fois que les gens seront au courant, vous serez étonnés de constater à quel point ils se montreront soucieux de vous faciliter la vie et d’adopter des stratégies efficaces pour bien communiquer avec vous. Bien sûr, il leur arrivera d’oublier momentanément votre problème, mais un petit rappel amical leur rafraîchira rapidement la mémoire!

En fait, c’est en gardant le silence sur votre perte auditive que la situation s’envenimera. Si vous restez en retrait ou évitez de participer aux conversations, ou pire encore, si vous vous privez de participer à des activités par peur de ce que les gens diront, vous vous étiquetterez vous-même comme «asocial». Vous paraîtrez « sauvage » aux yeux des autres, quand dans le fond, tout ce que vous avez le goût de faire, c’est de vous joindre au groupe! C’est votre responsabilité de dissiper ce genre de malentendus en étant honnêtes et en discutant ouvertement de votre problème auditif avec les gens que vous rencontrez.

Il ne faut surtout pas vous isoler! Vous n’avez qu’une seule vie à vivre, et il y a beaucoup trop de choses à faire et de gens à rencontrer! Allez vers les gens, faites passer votre message. Malheureusement, il y aura toujours des gens bornés avec des préjugés tenaces, mais, bien franchement, ils ne valent pas la peine! Ne vous laissez surtout pas décourager par ce type de personnes et mêlez-vous aux gens. Je vous garantis que vous découvrirez des gens bons et sympathiques!