Andrée Ruffo: quand les enfants passent avant tout

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ANDREE-RUFFO

Mme Ruffo, au cours de votre carrière, vous avez toujours été la voix des enfants démunis et en difficulté. Pourquoi vous êtes-vous intéressée aux droits des enfants?

Dans ma famille, les enfants ont toujours été très importants. Ensuite, ma sœur et moi avons suivi pendant deux étés à l’Université Laval une formation en enseignement préscolaire. Cela nous permettait de découvrir la fragilité, la beauté des enfants et comment on pouvait les stimuler pour quand nous serions mères.

Parce que pour moi, il était certain que j’allais me marier et avoir beaucoup d’enfants. La vie a fait autrement. J’ai eu un fils, ensuite j’ai fait une fausse-couche à cinq mois et demi et je n’ai pu avoir d’autres enfants.

C’est à ce moment-là que je suis retournée aux études. Je suis devenue avocate et j’ai commencé à travailler à 35 ans. Pour moi c’était sûr que je voulais travailler que pour les enfants. J’ai d’ailleurs ouvert le premier bureau spécialisé dans le domaine des enfants au Québec. Je ne travaillais que pour les enfants. Ç’a été que du bonheur! Quand j’allais à la cour, je n’avais qu’un seul enfant par jour, jamais deux.

J’accompagnais l’enfant, j’allais le chercher à la maison, je l’amenais à la cour, j’attendais avec lui. Nous allions devant le juge. Pour moi, ç’a été un vrai bonheur parce que je l’ai fait à mon goût comme je le voulais et c’était très important.

Toujours selon votre expérience, croyez-vous qu’un enfant sourd ou malentendant est plus vulnérable qu’un enfant entendant?

Oui, puisqu’il est différent. Lorsque l’on regarde les cas d’intimidation, souvent les jeunes qui en sont victimes le sont parce qu’ils sont différents. Que ce soit la fille la plus riche, le garçon avec une oreille croche, etc.

Que conseillez-vous pour aider ces jeunes en difficulté?

Je pense que ce qu’il faut apprendre, c’est de cesser de parler d’intimidation et plutôt parler de l’admiration que nous éprouvons à l’égard de ceux qui sont différents.

Moi, j’ai une admiration sans bornes pour les personnes qui sont différentes, qui réussissent à s’intégrer, qui prennent du plaisir dans la vie, etc. On se prend pour qui si on pense que nous sommes le centre de la Terre? Pour moi, la discrimination est une question de différence. Ça pour moi, c’est clair!

Vous avez connu une carrière impressionnante. Pour vous, quelle a été votre plus belle réussite?

De ne pas avoir triché les enfants, de leur avoir donné des messages d’espoir honnêtes. C’est vraiment ma plus grande fierté. Je peux dire aujourd’hui que je n’ai jamais fait de compromis sur mes jugements parce qu’il n’y avait pas de ressources. Je les regardais dans les yeux à cette époque et aujourd’hui je suis encore capable de les regarder dans les yeux quand je rencontre les enfants pour qui j’ai été la juge.

Aujourd’hui, vous dites que vous prenez le temps de vivre au jour le jour. Comment, avec le métier que vous avez exercé, qui est en quelque sorte une mission, êtes-vous parvenue à le faire?

Je n’ai pas eu le choix. En même temps mon frère s’est suicidé, j’ai eu tous les problèmes à la magistrature… j’ai fait une immense dépression. Et je ne suis pas gênée de le dire. J’ai été soignée par des gens que j’adore, des personnes extrêmement compétentes. J’ai eu la chance de faire cette dépression puisqu’elle m’a permis de me recentrer sur qui j’étais, ce que je voulais, comment je pouvais être heureuse, etc. Encore actuellement, je commente dans l’actualité ce qui se passe pour les enfants.

D’ailleurs, j’ai reçu un appel d’une journaliste. Comme j’avais quelqu’un avec moi à la maison, j’étais dans l’impossibilité de lui parler. Elle m’a supplié de la rappeler parce que «Vous savez, nous cherchons quelqu’un qui va parler des enfants au Québec puisque personne n’en parle.» Où sont les juges? Où sont les intervenants sociaux? Où sont les psychologues? Ça fait huit ans que je suis à la retraite et on m’appelle encore, même quand je suis en Europe. Ça n’a aucun sens.