
Rosalie Taillefer-Simard: Rien ne l’arrête!
Née avec une surdité profonde, Rosalie Taillefer-Simard a été opérée à l’âge de quatre ans pour recevoir un implant cochléaire. Aujourd’hui, à 27 ans, Rosalie est une jeune femme épanouie, amoureuse et ambitieuse.
Elle suit les traces de ses parents, Marie-Josée Taillefer et René Simard, et entame une carrière prometteuse à la télévision. Rencontre avec une artiste polyvalente.
Tu coanimes l’émission Mission accessible sur les ondes d’AMI-télé. C’est une émission qui vise à sensibiliser le public à la réalité des personnes vivant avec un handicap. Quels enjeux aborderez-vous, notamment en lien avec la surdité?
Nous sommes trois animateurs qui avons tous un handicap. Je suis sourde, Damien Gramont est aveugle et Kéven Breton est en fauteuil roulant. Chaque émission présente un obstacle que nous rencontrons. Par exemple, dans un épisode, j’assiste à un spectacle d’humour. Je ris toujours toute seule à la mauvaise place dans ce genre de spectacles parce que je regarde plus la gestuelle des humoristes que j’écoute leurs blagues! Je suis donc allée au Bordel Comédie Club à Montréal et j’ai rencontré l’un des propriétaires de l’endroit. Il a écouté un spectacle comme je les entends, avec des écouteurs. Il m’a dit ensuite: «Je comprends pourquoi tu ne vas pas voir de spectacles d’humour!»
J’ai adoré participer à ce projet, c’était tellement une belle expérience! C’était la première fois que j’animais une émission de télévision. J’ai appris beaucoup. Au début du tournage, je lisais les textes et les apprenais par cœur. Avec le temps, j’ai appris que ça doit être naturel. Il faut que tes questions soient préparées, mais que ce soit davantage une conversation. Je vois que je m’améliore d’une émission à l’autre.
On peut aussi te voir dans la série CLASH sur les ondes de VRAK. Tu y incarnes le personnage d’Élise, une jeune femme sourde. Comment as-tu trouvé cette première expérience sur un plateau de tournage?
J’ai tellement aimé ça! Mais c’est différent de ce que je m’imaginais. Il faut vraiment arriver préparés. J’ai adoré entrer dans la peau de mon personnage et échanger avec les autres comédiens. Chantal Fontaine, qui joue ma tante, s’assurait que je comprenne bien ce que la réalisatrice disait. On faisait une bonne équipe.
Penses-tu que la communauté sourde devrait être davantage représentée à la télévision?
Oui, peu de gens avec un handicap jouent dans des séries télévisées. C’est tellement plus naturel et réaliste, quand un personnage parle la langue des signes par exemple.
Quel est ton niveau d’audition avec l’implant cochléaire?
Quand il y a beaucoup de bruit autour, je lis davantage sur les lèvres pour confirmer ce que j’entends. Quand j’écoute la télévision, je mets les sous-titres, sinon je perds des bouts. La radio, ce n’est pas clair. La musique non plus. Les instruments se mélangent aux paroles, j’entends moins la mélodie. Et si j’enlève mon implant, je n’entends plus rien du tout.
Utilises-tu la langue des signes?
De temps en temps, par exemple quand je suis loin de la personne avec qui je parle. Pour mon rôle dans CLASH, j’ai rencontré une sourde qui utilise la langue des signes tous les jours. Je lui ai fait lire mes dialogues, elle me les a montrés en signes, puis je les ai pratiqués chez nous. C’est comme une chorégraphie de danse. Il faut que tu te pratiques pour que ça coule bien. J’utilisais la langue des signes quand j’étais plus jeune, mais j’ai oublié avec le temps. Je voulais donc confirmer mes signes avec elle.
L’art occupe une grande place dans ta vie, sous plusieurs formes. Tu danses et tu peins à merveille. Tu as d’ailleurs récemment exposé tes toiles à la Galerie le 1040 à Montréal. Comment décrirais-tu ton art?
C’est très coloré. On dirait que vu que mon audition est moins développée, je veux mettre du punch et que ça attire la vue. Je trouve que les couleurs mettent de la vie dans une pièce. C’est plus chaleureux, ça change tout!
Ton exposition s’appelle Audition. Comment ce thème se reflète-t-il dans tes toiles?
Dans une de mes toiles, on peut voir une cochlée. J’ai aussi fait une toile avec une cicatrice pour illustrer mon opération. C’est assez abstrait, on ne les voit pas tout de suite, mais elles sont là. Quand je l’explique aux gens, ils trouvent ça super intéressant. Ils sont curieux d’en savoir plus sur la surdité.
Tu sembles avoir un lien privilégié avec tes parents. Que t’ont-ils enseigné de plus précieux?
Ils m’ont donné beaucoup de confiance. Ils nous ont tellement encouragés, mon frère et moi. Ils ont toujours été là pour nous. Si je n’avais pas eu des parents aussi présents et aimants, je pense que je ne serais pas aussi bien dans ma peau. Je suis vraiment chanceuse. Ils m’ont aidée à être bien, à être heureuse. Ils nous ont élevés comme des enfants normaux, pas comme des enfants différents des autres.
Quelle relation entretiens-tu avec tes parents?
On se donne des nouvelles tous les jours. Et on voyage souvent en famille. Ça nous rapproche beaucoup, vu qu’on ne vit plus dans la même maison.
Avec ta mère, tu donnes la conférence Taillefer et fille – Relever un défi un peu partout au Québec. De quoi parlez-vous dans cette conférence?
On parle de surdité. Quand Olivier, mon grand frère, est venu au monde, mes parents ne connaissaient pas ça, la surdité. Ils pensaient qu’il était entendant, mais ils ont réalisé que le bébé ne réagissait pas aux sons.
Ils ont passé des tests et ont appris, quand il avait 11 mois, qu’il était sourd. Ma mère explique comment mes parents ont vécu la situation. Moi, j’explique comment j’entends, comment j’ai appris à parler et quels sont les petits défis du quotidien. On montre des vidéos, on raconte des anecdotes. C’est agréable, les gens aiment ça.
Vous abordez le sujet avec beaucoup d’humour. Est-ce que ça vous a aidés à accepter la situation?
Oui, il y a toujours eu de l’humour quand on parle de surdité. Des fois, j’invente des mots, mais je pense que ça se dit. Mes parents écrivent toutes les erreurs qu’on fait dans un livre. On rit tellement quand on relit ça!
Par exemple, au lieu de dire chaloupe, je disais cantaloup, et au lieu de piste cyclable, je disais bicyclable. Ça se lit de la même façon sur les lèvres, alors comment peut-on le savoir!
La dernière année a été particulièrement chargée pour toi. Que peut-on te souhaiter pour la suite de ta carrière?
Je dois avouer que j’aime particulièrement le jeu. Depuis que je suis toute petite, j’aime jouer des personnages, observer les gens et les imiter. Et je suis curieuse de nature. C’est peut-être pour ces raisons que j’aime autant le métier de comédienne. Sinon, je continue de donner des conférences avec ma mère, je crée les décors de scène pour mon école de danse, je peins des commandes de toiles et je fais des rénovations dans ma nouvelle maison. Je me tiens occupée, c’est le fun!
Merci pour cette magnifique rencontre, Rosalie.
Tu es tellement belle et inspirante !